CAO ZHI

CAO ZHI
CAO ZHI

Le plus brillant, le plus fécond, le plus influent des poètes novateurs de la fin des Han, Cao Zhi, ou Cao Zijian, a pu passer, jusqu’à la venue de Du Fu, pour le dieu de la poésie. Zhong Rong, le célèbre critique du VIe siècle, le tenait pour le Confucius de la littérature. Après tant de poètes anonymes, Cao Zhi fut le premier à signer une œuvre aussi considérable.

Désastres et chefs-d’œuvre

Son biographe, l’auteur de l’Histoire des trois royaumes (San guo zhi ), retrace sa carrière avec une dramatique simplicité. Dès son enfance, Cao Zhi séduisit son père, le grand Cao Cao (155-220), dont le génie a dominé la crise ultime de l’histoire des Han, par la précocité de ses dons. Devenu le maître de l’Empire, Cao Cao poussa la faveur jusqu’à vouloir faire de Cao Zhi son héritier, de préférence à son fils aîné, Cao Pi. Autour des frères rivaux, deux coteries s’affrontèrent. Mais, tandis que Cao Zhi irritait son père par son insouciance et sa dissipation, Cao Pi s’appliquait à plaire par une conduite irréprochable: c’est ce dernier qui l’emporta et devint, en 217, l’héritier en titre. Pour Cao Zhi, cette défaite annonce un revirement du destin. Après la mort du père, Cao Pi usurpe en 220 le trône des Han et fonde la dynastie des Wei. Sous son règne, puis, à partir de 226, sous celui de son successeur, Cao Rui, Cao Zhi ne connaît plus que suspicions et mauvais traitements. Ses partisans sont exécutés. Il doit lui-même, comme les autres princes du sang, quitter la capitale et regagner ses terres. Muté d’un fief à l’autre, espionné et dénoncé par les inspecteurs impériaux, isolé de ses pairs et limité dans ses déplacements, il mène une existence humiliante et précaire. Ses titres ne l’empêchent pas d’envier le sort des roturiers. Bien qu’il proteste de sa loyauté et multiplie les suppliques, il meurt sans avoir pu améliorer sensiblement sa situation.

Aux yeux de la postérité, la gloire littéraire de Cao Zhi compense la dérision de cette carrière manquée. Prosateur, il a laissé des mémoires au trône, des dissertations, des lettres (dont l’une, à son ami Yang Xiu, marque le début de la critique littéraire) : le style, par son élégance, tranche à la fois sur la simplicité de Cao Cao et la préciosité de Chen Lin, l’un des sept poètes de l’époque Jian’an (cf. les sept poètes de la période JIAN’AN). Ses fu , au nombre d’une quarantaine (le «récitatif» reste le genre noble), renoncent à l’exubérance décorative des Han et retrouvent l’esprit de Qu Yuan et de Song Yu. Mais c’est comme poète lyrique que Cao Zhi s’est élevé au premier rang. Dans les quelque quatre-vingt-dix pièces qu’il a laissées, en majorité des «poèmes à chanter» (yuefu ), la critique a très tôt remarqué l’harmonieux équilibre de l’inspiration et de l’expression.

L’homme et son temps

Ces poèmes sont traditionnellement lus à la lumière des drames de l’époque ou de ceux de la vie de l’écrivain. «Né au milieu des bouleversements, j’ai grandi au milieu des armées», dit Cao Zhi. Plus rudes encore furent pour lui les épreuves de l’âge mûr. Il n’est que naturel d’en chercher le reflet dans une œuvre à l’éclat de laquelle l’auteur ne borne pas ses ambitions, brûlant qu’il est de se distinguer sur les champs de bataille ou dans la conduite des affaires. De fait, il ose dire ouvertement, dans de longs plaidoyers ou d’amères diatribes en vers, son ardeur patriotique, ses rêves d’héroïsme et de dévouement, les désespoirs de son inaction forcée, la colère et le dépit que lui inspirent de mesquines persécutions. Cao Zhi peut passer pour le meilleur exemple de l’«esprit de Jian’an», de ce fameux kangkai , fait de générosité et d’énergie, mais aussi de sombres rancœurs. Cette passion véhémente flambe pour un idéal dont l’orthodoxie a de quoi surprendre, à une époque qu’on dit marquée par le déclin du confucianisme et l’essor du taoïsme. Cao Zhi, quant à lui, affirme qu’il ne croit point aux Immortels. Réaliste, sa sagesse oscille entre l’art de jouir du présent et l’exaltation des vertus confucéennes. Les poèmes qui célèbrent le premier datent sans doute des années heureuses. Ils chantent la jeunesse dorée de la capitale et ses plaisirs (la chasse, les combats de coqs). Quant aux allusions édifiantes à la morale traditionnelle, elles s’adressent soit à des amis, que l’auteur s’efforce de rallier à la politique restauratrice de son père, soit, plus tard, au souverain, dont il s’agit de vaincre la méfiance.

Thèmes et symboles

Peu nombreux, en réalité, sont les poèmes de Cao Zhi dont le sens se laisse ainsi définir par rapport à l’actualité politique et biographique. Mais la légende s’est emparée des données qu’ils fournissent et, les combinant avec celles des Annales, elle a campé le poète en héros tragique. Ambitieux et chevaleresque, mais méconnu et désespéré: ce cliché s’est imposé avec tant de force qu’il a servi de clé pour le reste de l’œuvre. Était-ce légitime? La critique moderne a commencé de mettre en doute l’interprétation habituelle, strictement biographique, de beaucoup de poèmes fondés sur l’exploitation des thèmes traditionnels. Elle refuse de reconnaître l’auteur lui-même derrière chacun de ses personnages favoris, les types de la femme trahie ou abandonnée, de la belle-fille méconnue, de l’épouse stérile. Même s’il est vrai que l’imagination du poète le porte spontanément à évoquer des drames comparables au sien, ceux de la solitude, du déracinement, de l’errance, de l’inachèvement, les figures et les symboles utilisés débordent et font oublier son cas personnel. Ainsi de l’oiseau captif qu’un jeune homme libère des filets de l’oiseleur, ou de la plante peng , emportée et ballottée par la tornade. Dans les sept pièces de la série justement fameuse Zeng Baima wang Biao (A Biao, roi de Baima ), l’imaginaire se mêle inextricablement au réel. De même, tandis qu’un critique admire dans Taishan Liangfu xing la peinture réaliste des misères du temps, un autre remarque que l’auteur n’a sans doute jamais visité la contrée qu’il y décrit. Le célèbre Luo shen fu (La Déesse de la rivière Luo ) raconte la brève rencontre du poète avec une divinité dont l’amour lui reste interdit. C’est affaiblir ce beau conte que de le présenter comme une simple transposition soit de la passion de Cao Zhi pour l’impératrice Zhen, soit une fois de plus de son loyalisme déçu.

Les thèmes et les symboles auxquels Cao Zhi donne vie sont rarement de son invention. Il renouvelle, d’une part, les rêves d’évasion du Chu ci . La vérité poétique de ces randonnées libératrices et de ces visites au séjour des Bienheureux ne lui semble pas incompatible avec leur irréalité métaphysique. Mais, surtout, Cao Zhi est l’héritier des jongleurs de cour, auteurs de yuefu , ainsi que des lettrés anonymes qui composèrent les premiers «poèmes anciens» (gushi ). Il ne doit pas seulement à ces devanciers des motifs et des formules, mais aussi le mètre pentasyllabique, dont il est, à l’avènement de sa longue royauté, le premier grand maître.

L’inspiration du poète et le langage poétique qui lui viennent de la tradition se trouvant ainsi définis, il reste encore beaucoup à faire. Depuis peu, la critique s’intéresse aux particularités de leur combinaison. On remarque des obsessions, comme celle du mouvement, tour à tour ascendant et descendant, ou de la hauteur et de l’envol, des motifs privilégiés tels que les forces au travail dans la nature ou l’évanescence des phénomènes, des constantes formelles, comme l’importance et la perfection des préambules. Ces recherches encore tâtonnantes devraient permettre de préciser l’originalité du premier grand poète lyrique de la Chine impériale.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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